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Crosslinking : pur effet cicatriciel?

L’action du Cross linking sur la cornée est-elle purement conséquence du remodelage epithélial ?

La cornée est constituée de 3 tuniques principales : l’épithélium en surface (environ 10% de l’épaisseur totale de la cornée), le stroma (environ 89.50%) et l’endothélium (environ 0.5%).

Le siège de l’action supposée du crosslinking (CXL) est le stroma cornéen, puisque l’épithélium cornéen est retiré, préalablement à l’imprégnation de riboflavine et l’exposition aux ultraviolets.

Les doutes émis par l’auteur de ce site quant à l’efficacité du crosslinkig reposent sur le fait que l’objectif premier pour lequel la technique a été mise au point est d’augmenter la rigidité de la cornée, afin de réduire la capacité de distension du tissu cornéen qui est accrue dans le kératocône. Or, aucune étude publiée ne met en évidence un quelconque durcissement chez les patients opérés de crosslinking. Une étude récente a toutefois permis d’enregistrer quelques modifications de la biomécanique de la cornée … mais plutôt dans le sens d’un « ramollissement » !

En revanche, une modification d’ordre morphologique a été observée après CXL au niveau de la cornée: il s’agit d’une réduction modeste de la kératométrie maximale, d’environ une à deux dioptries.

Cross linking et kératométrie

La kératométrie maximale est une donnée locale, qui fournit une information relativement limitée. Elle correspond à la courbure mesurée à proximité de l’apex cornéen, effectuée à l’interface la plus superficielle de la cornée : le film lacrymal qui recouvre l’épithélium cornéen. Au passage, si le CXL est présenté comme une technique innovante, force est de reconnaître que les critères utilisés pour apprécier son effet sont assez désuets, à une époque où les topographes cornéens sont à même de fournir des indices globaux de courbure et d’irrégularité du dôme cornéen.

Toute variation du relief de la cornée affecte la mesure de la kératométrie ; ainsi, un changement même mineur au niveau de la couche épithéliale peut induire des modifications significatives de la kératométrie.

Le CXL n’est pas la seule technique de chirurgie cornéenne à induire une variation de la kératométrie. En sculptant le stroma cornéen, la chirurgie réfractive au laser excimer vise essentiellement à modifier le pouvoir optique de la cornée. Avec la technique du laser de surface (PKR), on retire l’épithélium superficiel (comme pour le CXL), puis on délivre la photoablation excimer qui est destinée à modifier la puissance optique de la cornée.

Effet de la repousse de l’épithélium après CXL

La repousse de l’épithélium après PKR peut modifier l’effet imprimé à la surface stromale, mais les algorithmes utilisés pour le réglage de la délivrance de la photoablation laser tiennent compte de l’effet « moyen » de la repousse épithéliale.

En CXL simple, il n’y a pas de retrait du tissu stromal au laser: après abrasion de l’épithélium et imprégnation d’un agent photosensible, le stroma cornéen est exposé à de la lumière ultraviolette. En admettant que cette exposition n’ait peu ou pas d’effet significatif sur la rigidité cornéenne, il est en revanche certain que la repousse épithéliale puisse modifier la topographie de la surface cornéenne.

L’image suivante a été obtenue en examen OCT en haute résolution, quelques mois après un Cross linking effectué pour un kératocône relativement évolué. Le patient a ressenti une baisse d’acuité visuelle après le cross-linking, en raison de la survenue d’un haze (réduction de la transparence cornéenne), qui s’est résorbé en un peu plus de 3 mois. L’image en coupe verticale révèle un amincissement de la couche épithéliale en regard de l’apex cornéen. Cet amincissement semble le corollaire d’un effet « relissant » de l’épithélium cornéen sur la distorsion sous jacente de la couche stromale induite par le kératocône.

cictrisation epithéliales cornéenne apres CXL

Remodelage épithélial observé au décours d’un crosslinking. Noter l’amincissement relatif de la couche épithéliale en regard de la région apicale du kératocône. Globalement, le profil cornéen antérieur est moins tourmenté que le profil cornéen postérieur (qui n’est pas muni d’un revêtement cellulaire pluri-stratifié, comme l’est la face antérieure). Ce type de modification épithéliale est couramment observé au cours du kératocône, et plus généralement des processus qui induisent une variation du relief cornéen (chirurgie réfractive, cicatrices, etc.).

Les effets de la cicatrisation épithéliale sont d’ailleurs bien connus en PKR, ou en LASIK, en particulier pour les fortes corrections, où celles qui impliquent une variation importante du profil cornéen (ex: correction de l’hypermétropie).

relissage cornéen apres lasik pour hypermétropie

Remodelage spectaculaire après LASIK hypermétropique de la couche épithéliale. La correction de l’hypermétropie en LASIK repose sur la découpe d’un capot (qui contient de l’épithélium et du stroma superficiel) et une sculpture sous jacente au laser excimer. Le laser sculpte la cornée pour augmenter sa courbure. Ceci implique une ablation périphérique de plus en plus importante du centre de la cornée vers la périphérie, ou un « sillon » pouvant atteindre une centaine de microns est creusé. Sur cet exemple, l’épithélium, qui n’est pas en contact avec la zone ayant subi la photoablation laser, s’est pourtant hypertrophié de plusieurs dizaines de micron pour « réduire l’irrégularité » du galbe cornéen périphérique. Le mécanisme impliqué dans ce relissage n’est pas bien élucidé. Il est certainement mis en jeu au décours du cross linking, car contrairement au LASIK, l’épithélium cornéen est retiré au cours du CXL conventionnel.

Mieux, ceux-ci sont également documentés et incriminés dans les variations kératométriques observées après simple photokeratectomie à visée thérapeutique (PKT). Avec la technique de PKT superficielle, l’ablation d’une dizaine de microns seulement à la surface de la cornée par le laser ne peut expliquer les modifications kératométriques observées, qui sont parfois de l’ordre d’une réduction de une à deux dioptries de la courbure centrale après cicatrisation épithéliale. Ces modifications expliquent à elles seules le « shift hypermétropique » observé après PKT.

La loi de Munnerlyn, qui relie les variations de profondeur centrale aux changements attendus de kératométrie, peut également être utilisée pour calculer le différentiel d’épaisseur nécessaire à ne modification de la kératométrie telle que mesurée en moyenne après cross linking.

Cette loi stipule qu’il ne faut que 3 microns de différence d’élévation entre le centre et les bords de la cornée sur les 3 mm centraux pour occasionner une variation kératométrique d’une dioptrie (la kératométrie est mesurée en sein des 3 mm centraux).

cicatrisation cornéenne épithélium CXL

Il ne suffit que de 8 microns de différence entre le centre et les bords de la zone centrale de la cornée pour modifier la kératométrie d’une dioptrie sur une zone centrale. Or, la hauteur d’une cellule basale épithéliale est de l’ordre de 5 microns. Les modifications de la courbure de la cornée après CXL sont du même ordre que ce qu’induisent de faibles variations de la couche épithéliale.

Cette valeur est particulièrement faible au regard du potentiel modulateur de l’épithélium cornéen. Pourtant, les résultats du CXL en matière de kératométrie semblent implicitement mis au compte d’une action remodelante dont le siège est le stroma cornéen, pas l’épithélium.

Indépendamment et avant toute réalisation de la chirurgie CXL, l’action remodelante de l’épithélium au cours de l’évolution du kératocône est spectaculaire. Après retrait de l’épithélium, on peut observer des modifications topographiques majeures si l’on refait immédiatement une topographie de la couche de Bowman ainsi mise à nu (5 à 10 dioptries). Les vertus plastiques de l’épithélium cornéen au cours de l’évolution du kératocône sont remarquables : il est capable de s’amincir ou s’épaissir localement, de manière à « lisser » le relief cornéen antérieur.

OCT haute résolution kératocône bilatéral

Cartes d’épaisseur épithéliale de l’oeil droit et l’oeil gauche d’un patient atteint de lératocône bilatéral. On note un important amincissement central (couleurs froides), en regard de la région apicale de la cornée atteinte de kératocône. Cette distribution atténue la déformation topographique qui serait mesurée si on retirait l’épithélium de la cornée;

Les mécanismes mis en jeu demeurent non élucidés à ce jour, mais l’action répétée des paupières (clignements, qui surviennent plusieurs milliers de fois par jour) pourrait jouer un rôle important dans ce relissage.

Conclusion : le CXL = simple vecteur de remodelage épithélial?

Ces simples constatations devraient conduire à considérer que puisque l’action de l’épithélium sur la kératométrie précède la réalisation du CXL, et que la repousse épithéliale est à même d’influer fortement sur les variations du relief cornéen après CXL, il est légitime de postuler que la légère réduction de la kératométrie observée au décours de la réalisation de cette technique est le fruit exclusif (ou quasi exclusif) du simple remodelage épithélial, et non d’une modification structurelle du stroma cornéen.

Ce postulat est d’ailleurs compatible avec :

-l’absence de durcissement cornéen mesurable après crosslinking.

-l’échec des techniques de CXL dites « épi-on », sans retrait préalable de l’épithélium, où l’on observe ni durcissement, ni modification kératométrique significative (l’épithélium n’étant pas retiré, il n’y a pas de repousse et de modification kératométrique).

Enfin, l’action stabilisatrice supposée sur l’évolution du KC (car non démontrée si l’on en croit les rapports récents de la Cochrane Library Study et de la Haute Autorité de Santé, qui pointent la faiblesse des études publiées) pourrait s’expliquer par le fait que les patients opérés de CXL sont moins prompts à frotter un œil opéré : les frottements oculaires répétés – ou tout stress mécanique équivalent – étant le facteur de risque principal (unique selon l’auteur de ce site) de progression du kératocône.

 

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