MTF – Modulation Transfer Function
Les performances optiques de l’œil humain en terme de résolution et de sensibilité aux contrastes peuvent être appréciées par une seule et même fonction : la Fonction de Transfert de Modulation (FTM) ou «Modulation Transfert Function – MTF ». En dehors du pur aspect fondamental que représente la compréhension des concepts d’optique impliqués dans son élaboration, ce paramètre ouvre des perspectives cliniques et thérapeutiques intéressantes et cet article lui est donc principalement consacré.
Introduction
La restauration d’une bonne qualité de vision est un enjeu majeur en chirurgie ophtalmologique, et plus particulièrement dans le domaine de la chirurgie réfractive, et de la chirurgie de la cataracte. La mesure de l’acuité visuelle à fort contraste (réalisée par exemple au moyen de lettres noires sur fond blanc, et qui est quantifiée en « nombre de dixièmes ») est qu’un des indicateurs de la qualité de vision. Cette mesure est très sensible à la présence d’un défocus sphérique (myopie, hypermétropie) ou cylindrique (astigmatisme) ; une demi-dioptrie de myopie suffit par exemple pour réduire l’acuité visuelle à contraste maximal de 2 lignes décimales (perte de 2 dixièmes). En revanche, certaines aberrations de haut degré (aberration sphérique, coma) sont compatibles avec le maintien de l’acuité visuelle testée de façon classique, mais induisent une réduction marquée de la sensibilité aux contrastes.
Acuité visuelle à fort contraste
La mesure de l’acuité visuelle fovéale est un des paramètres permettant de quantifier le seuil de résolution du système visuel. Elle correspond à l’inverse de l’angle visuel nécessaire pour distinguer la résolution (fréquence spatiale) la plus élevée. Cet angle est appelé « angle de résolution minimum » (minimum angle of resolution : MAR). Cet angle, équivalent au pouvoir séparateur entre deux points juste distingués.
Il existe plusieurs sortes d’acuité visuelle (de détection, de séparation, etc.). L’acuité visuelle de séparation explore le pouvoir séparateur de l’oeil. Ce pouvoir séparateur peut être défini comme l’angle minimum permettant de séparer deux points source distincts : angle MAR (Minimum Angle of Resolution). Le calcul de la valeur du MAR pour un oeil théorique doit prendre en compte le phénomène de diffraction pupillaire. L’acuité visuelle dépend en grande partie du pouvoir séparateur de l’oeil: pour identifier une lettre projetée en lumière blanche sur un écran à fond noir, il faut que l’oeil puisse distinguer (séparer) les motifs qui forment cette lettre. Dans ces conditions, le contraste est maximal (en réalité, proche de 95%).
Si l’oeil ne présente aucun défaut optique (ou si ce défaut est parfaitement corrigé) , la résolution dépend non seulement de la diffraction, mais aussi de la taille des photorécepteurs rétiniens: ceux-ci échantillonnent l’image rétinienne. Leur densité spatiale autorise une acuité visuelle théorique d’environ 20/10 ! En pratique, cette acuité visuelle est rarement atteinte car certains défauts optiques s’ajoutent à la diffraction pour réduire la qualité optique de l’oeil.
A titre de comparaison, les instruments d’optique utilisés en Astronomie (lunettes, télescopes) ont un pouvoir séparateur nettement plus élevé que celui de l’oeil humain. Le pouvoir séparateur du télescope Hubble est environ 1000 fois supérieur à celui de l’oeil humain. De même, les objectifs qui équipent les appareils photos numériques ont une qualité optique supérieure à celle de l’oeil humain: les capteurs CMOS qui leur servent de « rétine » ont une définition bien supérieure – en savoir plus sur les performances comparées de l’oeil et des systèmes d’obervation astronomiques : Ophtalmologie Astronomie
Conversion des échelles d’acuité : dixièmes, cycles par degré, minutes d’arc
Dixièmes et minutes d’arc
En France, on utilise généralement l’inverse de l’acuité visuelle en notation décimale : (A=1/pouvoir séparateur en minutes d’arc).
Un œil normal possédant un pouvoir séparateur égal à une minute d’arc a une acuité visuelle de 1/1=1, ou 10/10. Une acuité de 0,1 (ou 1/10) correspond à un pouvoir séparateur dix fois moindre : l’angle de résolution est alors égal à 10 minutes d’arc.
Pour un œil présentant une acuité de 2,5/10, l’angle mesurant le pouvoir séparateur de l’œil est de 1/4 soit 4 minutes d’arc (l’acuité visuelle est divisée par 4 par rapport au seuil de référence d’une minute d’arc).
Dixièmes et cycles par degré
Un cycle correspond à la réunion d’un motif clair et d’un motif sombre. Le profil en intensité lumineuse est sinusoïdal. L’angle MAR est l’angle dans lequel on peut inscrire un demi cycle (la partie claire et la partie sombre du cycle sont justes résolus).
Si le MAR est d’une minute, ceci correspond à 1/60e de degré, on peut donc inscrire 30 cycles résolus dans un angle de 1 degré (60 fois le MAR donc 60 fois 1/2 cycles soit 30 cycles).
Cette unité permet de définir les fréquences spatiales, qui s’expriment donc en nombre de cycles par degré.
Des valeurs de 15/10, voire 20/10 (60 cycles par degré) sont observées en pratique chez certains sujets emmétropes ou parfaitement corrigés. Dans ce cas, l’oeil « travaille » à la limite des capacités d’échantillonnage de la rétine. La taille de l’image rétinienne d’un « E » est de 15 microns environs: chacune des « barres » du E est projetée sur une rangée de cônes rétiniens. Le E peut être assimilé à 2 cycles et demi (fréquence spatiale : 60 cycles par degré, puisque le MAR est de 30 secondes d’arc et que l’on peut inscrire 120 MAR dans un degré).
En pratique clinique, la mesure de l’acuité visuelle se fait à contraste maximum; l’existence d’une variabilité de l’éclairage de la pièce où les mesures sont effectuées ou de la netteté des projecteurs explique que l’on puisse observer une variation de la mesure de l’acuité visuelle pour un même patient. On peut rechercher intentionnellement cette variation afin de mesurer par exemple l’acuité visuelle en situation dynamique et établir la fonction de sensibilité aux contrastes.
La mesure de l’acuité visuelle à fort contraste (réalisée par exemple au moyen d’optotypes noirs sur fond blanc) ne constitue pas un indicateur exhaustif de la qualité de vision. Elle est toutefois très sensible à la présence d’un défocus sphérique (myopie, hypermétropie) ou cylindrique (astigmatisme) ; une demi-dioptrie de défocus myopique suffit par exemple pour réduire l’acuité visuelle à contraste maximal de 2 lignes décimales. En revanche, certaines aberrations de haut degré (aberration sphérique, coma) sont compatibles avec le maintien de l’acuité visuelle testée de façon classique, mais induisent une réduction marquée de la sensibilité aux contrastes.
La modulation du contraste de l’image rétinienne par les aberrations optiques de l’oeil correspond à la fonction de transfert de modulation (FTM); l’acronyme anglais correspondant (MTF), dont l’usage est plus général, sera utilisé ici.
Définition de la MTF
La MTF ou FTM (Fonction de Transfert de Modulation) représente la manière dont le système optique considéré atténue le contraste de l’image qu’il forme par rapport à celui de l’objet observé.
Cet indicateur peut être calculé à partir de l’étude des aberrations déformant le front d’onde. Il s’applique à n’importe quel système optique isolé (cornée, implant) ou d’un système composé de différentes optiques (œil entier, objectif d’appareil photographique, télescope, lunette astronomique)…
Pour comprendre l’intérêt de la MTF, il est nécessaire de connaître les propriétés de la décomposition d’une image en constituants élémentaires.
Décomposition de l’image, convolution
La décomposition d’une image en un ensemble de point élémentaires est assez intuitive (ex : pixels). Chaque point de l’image observée étant défini comme une source lumineuse ponctuelle d’intensité donnée. Si l’on connaît la façon dont le système optique traite l’image d’un point «élémentaire » (fonction d’étalement du point ou FEP), il est alors possible d’appliquer cette transformation à l’ensemble des points composant l’image initiale pour obtenir une simulation de l’image rendue. Cette opération s’appelle convolution de l’image par la fonction d’étalement du point (Point Spread Function : PSF).
Image et fréquences spatiales
Une image monochrome peut être également décomposée en une combinaison de fréquences spatiales : chacune de ces fréquences correspond à un réseau composé de bandes alternativement sombres et lumineuses (lumière monochromatique), pouvant être orientées de façon variable au sein de l’image. Un cycle est une paire de ces bandes (l’une sombre, l’autre claire).
Le nombre de paires de bandes sombres et claires par unité d’angle (cycles par degré) défini la valeur de la fréquence spatiale.
Chacune des fréquences présentes dans la décomposition de l’image est pondérée par une valeur qui reflète son « amplitude », c’est à dire l’écart de luminance entre la partie la plus sombre et la plus brillante du réseau.
La superposition de ces différents réseaux de fréquence spatiale permet de recomposer l’image fixée.
Le fait qu’une image puisse être décomposée en un ensemble de signaux périodiques élémentaires appelés fréquences spatiales découle de l’analyse de Fourier qui s’applique à pratiquement n’importe quel signal complexe. Cette approche, familière pour le physicien, l’électronicien ou le spécialiste en traitement du signal est toutefois moins ordinaire pour le clinicien, plus habitué à se représenter un motif visuel comme la juxtaposition de points lumineux.
Afin de la rendre plus familière, cette méthode peut être assimilée à la décomposition spectrale d’un son en différentes fréquences sonores. Le spectre de ces fréquences spatiales s’étend des plus basses (les « graves » qui correspondent aux éléments les plus grossiers de l’image), aux plus élevées (les « aigus », qui permettent la représentation de détails fins). La MTF calculée pour l’ensemble des dioptres oculaires peut être rapprochée pour la fonction visuelle de la courbe audiométrique (audiogramme) où l’on s’attache pour étudier la sensibilité auditive à déterminer le seuil d’intensité de perception pour chaque fréquence sonore.
Ainsi, l’examen courant de l’acuité visuelle n’explore la capacité de résolution oculaire horizontale pour une cible de contraste maximal et se limite à l’information contenue sur l’axe horizontal de la MTF. Il reviendrait pour un examen audiométrique à ne tester la perception auditive des différentes fréquences sonores qu’à volume maximum !
Les fréquences spatiales, en nombre de cycles/degré d’angle, sont en abscisses de la courbe MTF. Plus il y a de cycles par degré, plus la fréquence spatiale est fine.
Les fréquences spatiales ont un effet variable pour la perception visuelle. On a montré par exemple que la reconnaissance de motifs comme des visages ou des paysages familiers se fait essentiellement à partir de la juste perception de fréquences spatiales moyennes .
Cette notion fait écho à la relative tolérance de certaines personnes âgées vis à vis d’une amétropie myopique modérée qui ne les gêne pas ou peu dans leur vie quotidienne pour identifier des proches ou se repérer dans un univers familier. Par ailleurs, le traitement neuro-ophtalmologique de l’information visuelle agit comme un filtre, en atténuant la perception des basses fréquences spatiales au profit des fréquences moyennes.
Interprétation de la courbe MTF
La MTF correspond au rapport entre les contrastes respectifs de l’image formée et de l’objet fixé pour chaque fréquence spatiale: cette valeur est portée en ordonnée, et correspond à la modulation (l’atténuation en pourcentage) du contraste. En fonction de la diffraction et de l’importance des aberrations optiques du système étudié, il est possible de déterminer la façon dont le système optique atténue le contraste de telle ou telle fréquence spatiale, et d’en déduire ainsi la qualité optique de l’image rendue. Plus ce rapport est proche de 100%, meilleure est la qualité optique du système testé pour cette fréquence spatiale.
Fréquence de coupure
Aspect de la courbe MTF
En savoir plus sur la MTF (article en anglais) : Impact_of_Modulation_Transfer_Function
Les données précédemment rapportées sont valides pour des milieux oculaires normalement transparents. En effet, la courbe MTF est le fruit d’un calcul théorique, accompli à partir du recueil du front d’onde oculaire. Certaines pathologies comme la cataracte sont responsables d’une réduction de la transparence (mal appréciée dans la mesure du front d’onde), donc d’une augmentation de l’absorption et de la diffusion lumineuse. L’aberrométrie par double passage (OQAS) permet de quantifier la diffusion lumineuse. La fréquence de coupure de la MTF oculaire calculée par aberrométrie en double passage (OQAS) est un paramètre utile pour le diagnostic positif de cataracte (voir article en anglais sur l’intérêt de l’OQAS en chirurgie de la cataracte)
En savoir plus sur l’OQAS et la diffusion lumineuse : OQAS Gatinel
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