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Laser excimer

Laser excimer et chirurgie des yeux

Les lasers excimer (à excimères) occupent une place importante dans le paysage des lasers et en chirurgie réfractive: ce sont les lasers de choix pour émettre un rayonnement de forte puissance dans de courtes longueurs d’onde comme l’ultraviolet. Les photons situés dans cette plage ultraviolette sont plus énergétiques que les photons infra-rouges ou du spectre visible et de fait, ils peuvent produire des effets particuliers, comme la photoablation de la cornée en chirurgie de la myopie et des autres défauts oculaires.

Le laser excimer a révolutionné la chirurgie réfractive, car il a apporté à cette discipline un gain majeur en terme de précision et d’innocuité. Les techniques de chirurgie réfractive cornéenne au laser excimer (LASIK et PKR) dominent avec suprématie le paysage de la correction chirurgicale des défauts visuels  comme la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme. L’utilisation du laser excimer est ainsi incontournable pour un chirurgien réfractif. Le femto-LASIK repose sur l’utilisation successive d’un laser femtoseconde et d’un laser excimer.

La généralisation voire banalisation de cette technologie ne doit pas faire oublier les véritables prouesses technologiques et d’ingénierie qui lui permettent, quand il presse  la pédale de tir, de focaliser avec précision sur la cornée un rayonnement ultraviolet énergétique dont le dosage et la répartition précise font de cet acte le geste chirurgical le plus précis, toutes disciplines confondues.

Aujourd’hui, les lasers à excimère de dernière génération permettent de délivrer la correction optique en un temps réduit grâce à une fréquence de tir élevée (ex: 500 Hz soit 500 tirs par seconde). La vidéo suivante montre la séquence de tirs délivrée pour corriger une myopie de 10 Dioptries et d’un astigmatisme myopique de 5 Dioptries, sur une zone optique de 6.5 mm. A cette répétion (500 Hz), une dioptrie est corrigée en moins d’une seconde et demie. Le tir des photons laser ultraviolet (193 nm) est effectué sur un disque de plastique transparent: chaque impact produit l’émission de photons situés dans le « bleu ».

Cette vidéo révèle une séquence de tirs excimers pour la correction d’une myopie et d’un astigmatisme… vue depuis la caméra d’un iPhone positionné sous le laser, dans l’axe des tirs.

En plus des applications médicales, les lasers excimers participent à de nombreux champs d’application qui ont en commun la nécessité d’une précision extrême comme la gravure de circuits électroniques, la fabrication de semi-conducteurs, ainsi que la recherche biologique et chimique. Le point fort de la technologie excimer réside dans le fait qu’elle permet l’émission d’un rayonnement laser situé dans l’ultraviolet (UV), où les photons sont plus énergétiques ; l’énergie transportée par ces photons est supérieure à l’énergie de cohésion des atomes au sein des molécules. Un photon UV peut ainsi agir de manière ciblée en rompant une liaison inter atomique. Dans le cas de la chirurgie réfractive cornéenne, cette interaction permet d’enlever une couche très fine de tissu cornéen à chaque impact.

L’utilisation des longueurs d’onde comprises entre 230nm et 350 nm est bannie des applications médicales. En effet, à des longueurs d’onde inférieures à 230nm, la pénétration intracellulaire des radiations ultraviolettes est limitée en profondeur.  Au-delà de 350 nm, l’énergie des photons incidents est inférieure au seuil minimum pour perturber les structures cellulaires. C’est entre 230 nm et 350 nm que le risque de modifier les structures intracellulaires comme l’ADN du noyau est non négligeable. En général, les radiations dont la longueur d’onde est inférieure à 230 nm ou supérieure à 3 microns ne pénètrent pas la cornée au-delà d’une profondeur de un micron.

 

Définition du mot « excimer »

Le mot excimer est une contraction du terme « dimère excité ». Le milieu d’excitation des lasers excimer est  gazeux et composé de gaz rares (Helium, Argon, Krypton etc.) ou d’halides (Fluorine, Brome, etc.). Les gaz rares occupent la dernière colonne à droite dans le tableau de classification périodique des éléments, et les halides l’avant-dernière.

Ces éléments sont à l’état naturel peu enclins à s’assembler, sauf sous certaines conditions physiques qui doivent être réunies dans la cavité laser (haute pression, décharges électriques) : ils peuvent alors former un dimère excité. A proprement parler, un dimère est l’assemblage de deux atomes identiques, et on devrait plutôt employer le terme « exiplexe » pour caractériser l’assemblage de deux monomères différents.

 

Historique du laser excimer

Le  premier rayonnement laser émis dans l’utraviolet a été généré par une équipe soviétique dirigée par NG Basov en 1970. Une intense recherche s’en suivi, et de nombreux laboratoires réalisèrent leur propre laser excimer au milieu des années 70. Le premier développement commercial fut accompli par la société allemande Lambda Physik en 1977, et les premières applications des lasers excimers furent accomplies dans le domaine industriel (gravure de circuits électroniques) et de la recherche.

L’étude approfondie et la compréhension du processus de photo-ablation (appelée dans la publication principes de Leigh et Srinivasan « Ablative Photodecomposition ») fut une étape importante dans le développement de la technologie excimer. On raconte que l’idée de « travailler » un tissu biologique naquit dans l’esprit du savant américain employé d’IBM d’origine indienne Rangaswamy Srinivasan en Novembre 1981, le jour de la fête de Thanksgiving, et ce au moment où il dégustait en famille la traditionnelle dinde.  Le lendemain, il soumit un reste de morceau de viande de dinde à l’action d’un laser excimer à 193 nm dans son laboratoire, et fut agréablement surpris de vérifier que l’ablation tissulaire accomplie par le rayonnement laser ne s’accompagnait d’aucune trace visible de brûlure ou lésion particulière. Son équipe poursuivit des expériences sur divers tissus biologiques et constatèrent que cette « ablation propre » survenait de manière constante.

Un premier brevet concernant des applications médicales du rayonnement excimer fut déposé et enregistré en 1988 (US patent : 4.784.135 : les auteurs du brevet initial -Srinivasan, Blum et Wynne- ont été décorés de la Médaille Nationale de l’Innovation Technologique par le président Barack Obama en 2012).  De  nombreuses photos attestant de la précision et l’absence de dommage collatéral de l’effet photoablatif du rayonnement à 193 nm furent produites par Srinivasan, dont celle d’un cheveu humain sculpté sur une profondeur de 50 microns.  Ces découvertes furent amplifiées pour le grand public par la compagnie IBM, qui lors d’une annonce officielle mis en avant les applications du laser excimer pour la gravure de circuits électroniques et la chirurgie.

Un des premiers ophtalmologistes à travailler avec Srinivasan en vue d’une application en chirurgie oculaire fut le Dr Stephen Trokel, professeur associé d’ophtalmologie au « Columbia Presbyterian Medical Center » de l’université de New-York. Un article fondateur intitulé “Excimer laser surgery of the cornea,” (Chirurgie cornéenne au laser excimer) fut publié en 1983 par l’American Journal of Ophthalmology ( Trokel SL, Srinivasan B, Braren B. Excimer laser surgery of the cornea. Am J Ophthalmol,1983 ;96 :710).

Stephen Trokel

Photo prise avec Stephen Trokel lors du congrès de l’American Academy of Ophthalmology, Novembre 2013

La précision ablative autorisée par le rayonnement 193 nm associée à l’absence d’effet collatéraux ou mutagènes permirent le développement ultérieur d’une palette d’opérations des yeux à visée correctrice (PKR et LASIK) : cette application est certainement aujourd’hui la plus populaire des lasers excimers, et l’une des premières causes de leur succès commercial.

Diverses compagnies se disputent le marché de la chirurgie réfractive ; outre VISX (acquis par la firme américaine Abbott) et qui fut la première compagnie à fabriquer en grande série des lasers à visée réfractive aux Etats Unis, les compagnies allemandes Wavelight, Technolas, Schwind, Zeiss et le japonais Nidek sont les principaux acteurs du marché de la correction visuelle.

 

Rayonnement excimer

Le rayonnement excimère utilisé en chirurgie réfractive (193 nm) est obtenu à partir d’un mélange Argon et de Fluorine (Ar-F).

containers de gaz rare

Containers contenant les mélanges gazeux qui alimentent la cavité d’ un laser excimer. L’hélium (He) et le Néon (Ne) sont des gaz tampons : l’Argon (Ar) et le Fluorine (F2) sont les parties susceptibles de former le dimère excité. Ce sont des gaz corrosifs, et il est important que le système de distribution des gaz soit étanche.

 

Les gaz rares comme l’Argon sont des éléments inertes, dont les niveaux électroniques sont complètement saturés ; de fait, ils ne forment pas à l’état naturel de molécules stables avec d’autres éléments et tendent à se repousser. L’excitation par une décharge électrique intense fournit à l’un des éléments (exemple : atome d’Argon) un électron, et cette charge lui permet alors d’attirer et de constituer de manière éphémère avec un second élément un « dimère » excité (ex  2 Ar + F2 → 2 ArF*). Pour obtenir cette réaction, il faut que la probabilité de rencontre entre ces éléments soit suffisamment élevée, ce qui suppose une haute densité et donc une pression élevée dans la cavité du laser. Lors de la séparation du dimère, l’énergie de la rupture de la liaison est produite sous la forme d’un photon dont la longueur d’onde est située dans l’ultra-violet (193 nm).

La genèse du rayonnement laser est particulière puisque chaque molécule de dimère créée est excitée et correspond à une inversion de population, sans état fondamental. Il est relativement facile de créer les dimères excités. En revanche, cette inversion doit être beaucoup plus marquée que pour un laser à gaz « classique » pour compenser les pertes en rayonnement au sein de la cavité. En effet, les dimères excités ont une durée de vie éphémère de l’ordre de quelque nanosecondes, et peuvent émettre de l’énergie sous forme de chaleur, ou de lumière ; celle-ci est émise lors de la dissociation « naturelle » et correspond à une émission spontanée, non contributive au rayonnement laser, qui nécessite que la dissociation soient provoquée par un photon incident. L’émission de chaleur au niveau de la cavité de certains lasers est importante, et certains font appel à un troisième élément gazeux (Helium) afin de dissiper une partie de cette chaleur.

Ainsi, pour accroître la densité en dimères excités, il est nécessaire de fournir un apport énergétique très important au milieu gazeux, ce qui n’est faisable que sur des durées très brèves  en raison des intensités et tensions requises.

Des pages sont consacrées aux principes fondamentaux de l’émission laser et à l’amplification de la lumière laser. Le gain des cavités des lasers à excimères est plus faible que pour d’autres types de lasers dont le milieu est constitué d’ions ; il faut donc produire d’intenses décharges électriques pour obtenir le rayonnement laser, qui est émis naturellement sous la forme de pulse d’une durée de quelques nanosecondes. Les décharges électriques sont émise par des électrodes situées de part et d’autre de la cavité où sont introduits les gaz Ar et F2.

paramètres d'excitation du laser excimer

Le mélange des gaz est introduit dans la cavité soumis à certaine pression et une excitation électrique (voltage 23 KiloVolt, fréquence 10 Hz) vise à obtenir une élergie de 135 mJ en sortie de cavité.

 

La cavité d’un laser excimer est munie de miroirs qui permettent l’amplification du faisceau laser: le gaz circule rapidement entre les électrodes et l’émission stimulée produit le rayonnement laser ultraviolet.

 

schéma cavié laser

Dans une cavité laser excimer, le gaz contenant le mélange exciplexe (Argon Fluorine) est injecté entre les électrodes qui le soumettent à d’intenses décharges électriques (excitation). Le rayonnement produit est amplifié par quelques aller retours au sein de la cavité avant d’être dirigé à l’extérieur de la cavité. Certains dispositifs comme les pré ionisateurs, les systèmes d’isolation et de refroidissement / circulation de la cavité ne sont pas montrés.

 

Faisceau excimer en sortie de cavité

En sortie de cavité, la section du faisceau laser recueilli occupe généralement une surface de quelque cm2.

Cette image montre l’orifice de sortie du faisceau de la cavité, ainsi que son empreinte recueillie sur un film photosensible:

sortie de cavité du laser excimer

A gauche : orifice de sortie de la cavité (laser Nidek EC5000), après retrait d’un miroir de renvoi. A droite, on observe trois empreintes recueillies sur un film polaroid: le diamètre vertical du faisceau est de 30 mm.

 

En fonctionnement normal, un miroir permet de renvoyer le faisceau sortant de la cavité vers le chemin optique au sein de l’instrument.

miroir de sortie du laser

Le miroir de renvoi en sortie de cavité permet de diriger le faisceau excimer vers le trajet optique de l’instrument.

Comme le montre la vidéo suivante, on peut mesurer l’énergie du faisceau laser en sortie de cavité. La fréquence des pulses est de 10 Hz (10 pulses par secondes).

 

Si on retire le détecteur d’énergie, le faisceau se propage librement… juqu’au prochain obstacle matériel avec lequel les photons vont interagir (ici la porte du bloc opératoire). Les photons ultraviolets à 193 nm sont très énergétiques et provoquent une photo-ablation. Sur la vidéo, les radiations bleues correspondent à une émission secondaire de photons moins énergétiques lors de l’interaction laser/matière.

 

Système de délivrance

Dans le cas des applications en chirurgie réfractive cornéenne, le rayonnement généré par la cavité doit ensuite être modelé et délivré avec précision à l’endroit souhaité. Ce rôle est dédié au système de délivrance, qui doit assurer l’émission finale des impacts laser sur la cornée, dont la sommation spatiale correspond au profil d’ablation.

Ceci impose un l’adjonction de divers éléments technologiques (voir également la page consacrée à l’anatomie d’un laser excimer). Les lasers excimer utilisés pour la chirurgie des yeux associent un système qui permet non seulement de générer mais aussi de  » modeler » puis délivrer le rayonnement sur la cornée de l’oeil opéré.

laser excimer : trajet du faisceau laser

Représentation schématique du trajet du faisceau excimer en sortie (laser Nidek). Le système de délivrance, situé dans le bras horizontal du laser module la forme et la direction du faisceau délivré sur la cornée.

Les lasers excimer utilisés pour la chirurgie oculaire bénéficient également de modules permettant la poursuite des mouvements oculaires au cours de l’opération (eye tracker), l’intégration de données propres à l’oeil opéré (topographie cornéenne, front d’onde, etc.). Une partie des composants électroniques dévoués à ces missions est montrée ici:

electronique des lasers excimer

Les laser excimer sont munis de nombreux modules électroniqes permettant d’assurer la délivrance d’un faisceau de puissance définie, de manière précise et contrôlée à la surface de l’œil opéré.

Avant chaque utilisation, le laser doit être « calibré »: l’intensité des décharges électrique destinées à exciter le milieu gazeux est modulée afin de garantir une fluence homogène et conforme aux spécifications du laser, en fonction des conditions physiques régnant dans la cavité (qualité du mélange gazeux) et dans la salle opératoire (température, hygrométrie, etc.). La calibration permet de compenser une réduction de la puissance délivrée en augmentant la tension délivrée, et inversement.

La vidéo suivante montre un exemple de calibration avec le laser Bausch & Lomb -Technolas Z100. Une plaque de calibration en plastique orange est recouverte d’un fin film aluminium. Ce laser délivre des spots de diamètres compris entre 1 et 2 mm. Quand la fluence est optimale, il faut 65 +/- pulses pour réaliser deux perforations complètes de la couche métallique, mettant à nu la couche plastique. Si le nombre de pulses nécessaires est plus élevé, il faut augmenter l’intensité des décharges électriques dans la cavité pour augmenter la puissance émise en sortie de la cavité. Si le nombre de pulses est inférieur à 63, il convient au contraire de réduire la tension délivrée dans la cavité.

 

Particularités des cavités excimer

L’intensité des tensions mises en jeu (de l’ordre de quelque dizaines de kilo-Volt kV) impose des contraintes particulières sur la cavité et a certaines conséquences qui font de la réalisation d’une cavité laser excimer un défi particulier.

Pour éviter la création d’un arc électrique entre les électrodes, une pré-ionisation de la cavité est nécessaire par l’émission d’un bref courant électrique au moyen d’électrodes secondaires. La durée de la décharge de l’électrode principale ne dépasse généralement pas 50 nanosecondes, mais son intensité nécessite la présence d’un matériau isolant performant au contact de la cavité.

Afin de garantir un rayonnement de bonne qualité, il faut éviter les fluctuations calorimétriques, et concevoir un système de refroidissement performant.

Les éléments de la cavité soumis à ces conditions extrêmes peuvent se dégrader plus rapidement que pour d’autres types de laser et entrainer la création de poussières, qui doivent être évacuées constamment sous peine d’altérer la qualité du faisceau émis.

Ainsi, le mélange gazeux présent dans la cavité en regard des électrodes (soit sur une distance de quelques centimètres) doit être en permanence renouvelé pour dissiper la chaleur, et garantir une densité suffisante en éléments réactifs pour garantir une émission stimulée suffisante. Ce renouvellement doit être effectué entre chaque pulse, et ceci impose une circulation rapide, de l’ordre de plusieurs mètres par secondes, d’autant plus rapide que la fréquence de tir (comprise entre 100 et 500 Herz pour les lasers excimers à visée chirurgicale). Cette circulation rapide impose la mise en œuvre de contraintes propres à la dynamique des fluides. Les lasers excimers ophtalmologiques sont toutefois parmi ceux pour qui ces contraintes sont relativement atténuées, car la sculpture de la cornée ne requiert pas les hautes énergies nécessaire pour certains matériaux céramiques par exemple.

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