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Biomécanique cornéenne

Evaluation clinique des propriétés biomécanique de la cornéen avec l’Ocular Response Analyzer (ORA).

Intérêt et principes de mesure.de l’hystérésis cornéen.

Alors que de nombreux instruments permettent d’étudier les propriétés géométriques et optiques (topographie cornéenne) ou histo-morphologiques (étude en microscopie confocale), l’estimation des propriétés biomécaniques de la cornée fut longtemps cantonnée à la recherche jusqu’à l’introduction de l’Ocular Response Analyzer® (Reichert, Buffalo, NY). Cet instrument fournit au clinicien une estimation non invasive de l’hystérésis cornéen, et utilise ce paramètre physique pour accroître la précision de la mesure de la pression intra-oculaire.
Nous utilisons l’Ocular Response Analyzer (ORA) dans des contextes cliniques variés.

Il est important de bien en comprendre les principes et les paramètres mesurés.

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Quel est l’intérêt d’évaluer les propriétés biomécaniques de la cornée en pratique clinique ?

La prise en charge du glaucome et la chirurgie réfractive cornéenne est le champ principal de l’étude de la biomécanique cornéenne.

1) Glaucome

Dans le cadre du dépistage et le suivi des patients glaucomateux, il est important de mieux mesurer la pression oculaire, et comprendre les facteurs mécaniques intriqués qui peuvent en faire varier les chiffres obtenus avec les tonomètres classiques.
L’hypertension oculaire (HTO) est le facteur de risque de glaucome le plus significatif, et reste le seul élément dont le traitement diminue l’incidence et la progression du glaucome. La méthode de mesure de la pression intra-oculaire (PIO) la plus communément utilisée est celle du tonomètre à aplanation de Goldmann, monté sur une lampe à fente, basée sur la loi de Imbert-Fick. Cette loi suppose que la pression interne exercée sur une sphère à paroi fine est égale à la pression nécessaire pour aplatir une petite zone de sa paroi. Cependant, il a été démontré que l’épaisseur cornéenne a une influence sur la mesure de la PIO. De plus, la prise en compte de la pachymétrie (épaisseur) cornéenne ne suffit pas à prédire les caractéristiques mécaniques du mur cornéen. La loi d’Imbert-Fick est valable pour des parois parfaitement élastiques (hystérésis nul). Enfin, cette loi s’applique à des sphères présentant une résistance homogène. Or, la sclère et la cornée ont une épaisseur et une rigidité variable selon les sujets. Ainsi, le tonomètre de Goldmann a été calibré pour une épaisseur de 525 µm et néglige la viscosité cornéenne. La fiabilité de la mesure avec ce type de tonométrie oculaire est donc sujette à une certaine imprécision, d’autant plus grande que la cornée du sujet se départit du modèle simplifié proposé par Goldman.

2) Chirurgie réfractive

La modification du pouvoir optique de la cornée induite par la kératotomie radiaire (KR) reposait sur l’induction d’une modification de la structure biomécanique de la cornée (incisions cornéennes profondes périphériques), sans variation de volume (absence de soustraction tissulaire). Ces incisions affaiblissaient biomécaniquement la périphérie de la cornée, dont le centre « ployait » et s’applatissait.
Les techniques de photoablation sont bâties sur un postulat inverse et fondent la modification du pouvoir réfractif sur un remodelage cornéen soustractif (sculpture par le laser excimer), en négligeant la possible réaction biomécanique.
Il est aujourd’hui démontré qu’une partie des effets « non prédits » par les profils d’ablation repose sur des modifications de la géométrie du mur cornéen d’origine biomécanique. La faible prédictibilité et les fluctuations réfractive de la KR ont pu être attribuée aux variations inter et intra individuelles de paramètres influant sur l’état biomécanique de la cornée (pression intra oculaire, rigidité cornéenne variables d’un patient à l’autre, ect…).
L’ectasie cornéenne induite par le LASIK est une complication très rare. Elle pourrait être liée à la décompensation d’un état biomécanique cornéen précaire (kératocône fruste). La mesure objective de l’état biomécanique préopératoire pourrait accroître la sensibilité de la détection de ces cornées « à risque biomécanique ».

L’intérêt de la mesure de l’hystérésis cornéen ne se limite pas au diagnostic du glaucome et le dépistage des cornées à risque en chirurgie réfractive. Il pourrait également permettre d’apprécier les conséquences biomécaniques d’affections oculaires « locales » (dysfonctionnement meibomien, sécheresse oculaire , dystrophies et dégénérescences cornéennes, ect…) ou secondaires à des affections générales (atopie, diabète, collagénoses, maladies de systèmes, ect…).. Enfin, l’appréciation de la rigidité cornéenne pourrait permettre de quantifier l’effet bénéfique escompté de procédures thérapeutiques comme l’insertion d’anneaux intra-cornéens ou la réticulation du collagène cornéen (cross linking – CXL). Depuis l’essor de la pratique du CXL, les mesures biomécaniques ne montrent pas de réelle modification de la biomécanique cornéenne (absence d’élévation de l’hystérèse ou hystérésis), ce qui doit faire reconsidérer l’intérêt de cette technique.

Qu’est ce que l’Hystérèse ?

Le phénomène a été décrit par Sir James Alfred Ewing en 1890 . L’hystérèse (ou hystérésis) est une propriété présente chez certains systèmes physiques caractérisée par le caractère différé dans le temps de la réponse à de une force qui leur est appliquée. Ces systèmes réagissent « doucement » et ne reviennent pas instantanément à leur forme d’origine car ils absorbent une partie de l’énergie mécanique incidente qu’ils dissipent sous une autre forme (chaleur). Les systèmes visqueux possèdent une hystérèse élevée.

Qu’est ce que la visco élasticité de la cornée ?

La pression exercée pour la mesure pressionnelle correspond à un stress mécanique pour la cornée (force exercée sur l’ensemble de la surface offerte par le mur cornéen). Le recueil des données relatives à la « gestion » de ce stress mécanique par la cornée renseigne sur ses propriétés biomécaniques.
Le comportement mécanique du tissu cornéen répond aux lois de la physique et peut être modélisé comme un système au comportement visco-élastique. L’élasticité et la viscosité confèrent au tissu cornéen duex caractéristiques comportementales distinctes :

-comportement élastique ; un système parfaitement élastique peut stocker de l’énergie avant de la restituer quasi intégralement. Un ressort métallique est un exemple de système élastique. Après compression (même prolongée), l’énergie est stockée (déformations moléculaires réversibles) puis restituée de manière quasi instantanée. Dans certaines conditions de tension, un système élastique a tendance à présenter des oscillations .lors de la restitution de l’énergie.

-comportement visqueux ; un système visqueux oppose une résistance qui s’accroît de façon non proportionnelle à l’intensité force de déformation exercée. Il existe une dissipation de l’énergie mécanique incidente (sous forme d’énergie thermique), qui explique un retour différé à l’état d’équilibre d’origine.

Comment fonctionne l’Ocular Response Analyzer ?

L’instrument émet un jet d’air calibré continu dirigé vers le dôme cornéen. Cette pression augmente par sommation au cours du temps et exerce une force d’intensité croissante en chaque point de la surface cornéenne exposée au flux d’air. Cette force va entraîner une déformation de la cornée. La pression exercée par le flux d’air est monitorée à de très brefs intervalles de temps par l’instrument tout au long de l’examen. L’aplanation est détectée grâce à la mesure de l’intensité de lumière infra-rouge réfléchie par la cornée. Cette lumière est émise selon une incidence oblique, et sa réflexion (également oblique dans une direction opposée) vers un capteur photosensible est d’autant plus importante que la courbure cornéenne est faible. L’aplanation correspond à un pic d’intensité lumineuse réfléchie, car cet à cet instant la surface cornéenne agit un peu comme un miroir plan. La pression à l’aplanation correspond à la pression mesurée lors du pic infrarouge.

ora story board

L’originalité de l’Ocular Response Analyzer réside dans sa capacité à effectuer lors d’un simple examen non pas une mais deux mesures d’aplanation consécutives : la première lors de la déformation cornéenne initiale consécutive à l’augmentation de pression, la seconde au moment ou la cornée retourne vers son état de forme initial.
Lors de la détection de la première aplanation (premier pic infra rouge), l’émission du jet d’air est brusquement interrompue. La pression de l’air exercée sur le mur cornéen ne chute toutefois pas immédiatement, mais continue d’augmenter par inertie pendant quelques millisecondes, avant d’atteindre un maximum, puis décroître progressivement vers l’état initial d’équilibre. L’allure de la courbe de pression obtenue tout au long de l’examen est d’allure gaussienne (elle épouse un peu l’allure d’une « cloche »).
La hauteur de cette courbe en cloche est proportionnelle à la valeur de pression intraoculaire: en effet, rappelons que le flux d’air n’est interrompu par l’instrument qu’au moment où survient la première aplanation. Plus la pression intra oculaire est élevée, plus la pression d’air équivalente à fournir au voisinage de la cornée est importante pour obtenir la première aplanation. A cet instant, la partie ascendante de la courbe de pression et la hauteur de la « cloche » seront d’autant plus élevée que la pression intraoculaire est élevée.
Après la première aplanation, le dôme cornéen subit pendant quelques instant une pression supérieure à la pression intraoculaire, et le profil cornéen central devient légèrement concave en avant. La proportion de lumière infrarouge décroît alors brutalement. La seconde aplanation survient lors de la décroissance pressionnelle et est détectée grâce au second pic de lumière infrarouge réfléchi.

Comment sont calculés les Index quantitatifs fournis par l’instrument ?

L’appareil permet de mesurer deux pressions d’aplanations consécutives (P1 et P2), exprimées en mmHg. Schématiquement, P1 est mesurée alors que la cornée subit et résiste à une pression positive croissante du jet d’air calibré, alors que P2 est mesurée quand la cornée revient à son état d’équilibre, en phase de pression positive décroissante.
Ainsi, à partir des valeurs de P1 et P2, le logiciel de l’ORA propose différents index :

-L’hystérèse (CH pour Corneal Hysteresis) est égal à la différence entre P1 et P2 (P1-P2). La valeur de l’hystérèse est proportionnelle au degré de viscosité de la cornée, et inversement proportionnelle à son degré d’élasticité.

ora corneal hysteresis

-L’estimation du facteur de la résistance cornéenne (Corneal Resistance Factor = CRF)
P1-KxP2, avec K=0.7. La valeur de K a été déterminée à partir d’étude cliniques et de modèles statistiques de corrélation. Cette formule accorde une pondération favorable pour P1 vis à vis de P2.

-La pression oculaire non compensée (IOPg) est égale à la moyenne arithmétique entre P1 et P2, soit (P1+P2)/2.
-La pression oculaire compensée pour les propriétés viscoélastiques de la cornée (IOPcc) est égale à une combinaison linéaire entre P1 et P2, et dont la valeur est particulièrement sensible à P2 , c’est à dire à la valeur de pression mesurée lors de la deuxième aplanation.
IOPcc = P2-0.KxP1, avec K=0.43. Cette valeur de K a été déterminée à partir d’études cliniques et de modèles statistiques de régression. Le CRF est ainsi mieux corrélé à l’épaisseur cornéenne centrale.

Comment analyser les signaux fournis par l’ORA ?

Trois courbes sont affichées pour chaque mesure sur un même graphique dont l’abscisse est une échelle de temps..
La courbe verte d’allure gaussienne correspond à la pression exercée contre le dôme cornéen.
La courbe rouge représente l’intensité de lumière infra rouge détectée pendant la mesure. La courbe bleue est obtenue par un lissage mathématique de la courbée rouge afin d’en réduire le « bruit ».
L’intersection des pics de la courbe lissée (en bleu) avec la courbe pressionnelle (en vert) permet de repérer les deux pressions d’aplanation successives.
Notre expérience préliminaire avec l’ORA nous a permis d’identifier les caractéristiques morphologiques fréquemment retrouvées dans des contextes cliniques divers comme le glaucome chronique, le kératocône, les suites opératoires de chirurgie réfractive cornéenne, ect…
Une étude statistique préliminaire a permis de définir une valeur moyenne de 11.02 (+/- 1.22 ) mmHg pour le CH chez des patients « normaux ». La définition de la « normalité » est ici prudente et même si tout patient présentant une hypertonie oculaire, une suspicion de kératocône fruste, ect … était exclu de l’analyse, les patients faiblement amétropes étaient majoritairement représentés dans cet échantillon. Le CH est apparu faiblement corrélée à la valeur de l’épaisseur cornéenne centrale dans notre étude.
La valeur du CH apparaît réduite de façon statistiquement significative pour les yeux atteints de kératocône (alors que la pression intra-oculaire est normale). La cornée atteinte de kératocône présente ainsi une composante élastique augmentée, ce qui signifie que sa capacité à absorber l’énergie incidente est inférieure à une cornée indemne de kératocône.
Nous avons observé une diminution constante mais d’intensité variable (environ 2 mmHg en moyenne) de la valeur du CH après chirurgie réfractive par LASIK. Cette réduction semble prolongée dans le temps (jusqu’à un an de recul) et sans conséquence clinique. Les valeurs obtenues pour le CH après LASIK sont inférieures aux valeurs préopératoires mais demeurent statistiquement supérieures à celles du groupe de patients atteints de kératocône. Rappelons que la mesure corrigée (IOPcc) de la pression oculaire par l’ORA tient compte de la valeur de la seconde aplanation et tient ainsi mieux compte de l’état biomécanique de la cornée.

Plusieurs études préliminaires suggèrent qu’en cas d’hypertonie oculaire prolongée, la valeur du CH demeure réduite malgré la normalisation de la pression oculaire. La réduction du CH pourrait traduire une altération des propriétés du tissu cornéen soumis à une hypertonie prolongée. Il est également licite de postuler qu’une réduction de l’hystérésis cornéen pourrait faire le lit du glaucome (capacité accrue de distension de tissus intra-oculaires impliquant non seulement la cornée mais la sclère et la lame criblée). Dans ce contexte, le CH pourrait être considéré comme un marqueur pronostique de l’affection glaucomateuse.
Enfin, l’analyse des caractéristiques morphologiques issues du recueil en intensité du signal infra-rouge ouvre de nouvelles perspectives diagnostiques. Ces caractéristiques font intervenir la hauteur et la largeur des pics, l’aspect plus ou moins lisse de la courbe de signal infrarouge, ect…Leur étude fait l’objet de travaux divers dans notre service, en collaboration avec le Dr Dave Luce, inventeur de l’instrument.

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